Ecoles marseillaises : la surenchère des audits

Par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille et Marie Piquemal — publié le 28 mars 2019 à 11:37 sur le site de Libération : https://www.liberation.fr/france/2019/03/28/ecoles-marseillaises-la-surenchere-des-audits_1717893

En 2016, la ministre de l’Education nationale demandait à ses services un diagnostic précis de l’état des établissements de la ville, pour certains délabrées. «Libé» en donne le contenu, jusqu’ici tenu secret. Trois ans après, Jean-Michel Blanquer annonce un nouvel audit, et la mairie surenchérit.

Et un, et deux, et trois audits sur les écoles marseillaises ! Ce mercredi, la mairie de Marseille a créé la surprise en annonçant qu’elle mettait au vote du conseil municipal du 1er avril une délibération actant la réalisation d’un «diagnostic technique des bâtiments scolaires». Pourquoi maintenant, alors que le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a annoncé en novembre le lancement d’un audit sur l’état des écoles marseillaises ? Justement, «parce qu’on en a marre des procès politiques menés par les élus d’opposition et relayés par les responsables de l’Etat dans le département, s’est énervé mercredi Yves Moraine, chef de la majorité LR au conseil municipal. Alors que nous considérons que cette majorité fait le nécessaire pour l’entretien des écoles !»

L’Etat qui vient mettre son nez dans les écoles marseillaises, ce n’est pas une première. En 2016 déjà, le ministère de l’Education nationale avait déjà lancé un diagnostic listant les travaux d’urgence à réaliser dans les écoles de la ville. Un document jamais sorti des couloirs du ministère. Libération en révèle aujourd’hui le contenu et pose les questions qui vont avec.

Que contient ce premier audit de 2016 ?

Au lendemain de la une de Libération, «Ecoles de Marseille : la honte de la République», la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem, sous pression, envoie un courrier au recteur et au préfet pour «identifier les urgences particulièrement criantes au vu notamment de la potentielle exposition des élèves à des risques de nature sanitaire et sécuritaire […] Puis, établir un programme de travaux à moyen terme permettant une remise à niveau du parc d’établissements de premier degré marseillais». Un audit est lancé, pour permettre au ministère d’avoir une vision précise de la situation, l’entretien des écoles étant du seul ressort de la municipalité. Dans son courrier, la ministre exige un suivi «sous un mois», la situation «particulièrement préoccupante nécessite une réponse rapide et cohérente».

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Ce document, censé être la base de travail pour la programmation des travaux, n’a jamais été rendu public. «Il avait vocation à rester en interne et dans les services de la mairie, le rendre public les aurait mis encore plus en difficulté», explique l’entourage de Najat Vallaud-Belkacem. Sauf que les associations et les élus de l’opposition, tenus à l’écart, en sont venus à douter de ce travail de recensement. «On ne l’a jamais vu, ni même vu circuler. Pourtant, ce n’est pas faute de l’avoir demandé», se désolait mardi soir, Séverine Gil, de la principale association des parents d’élèves des écoles marseillaises, MPE 13.

Cet audit existe bel et bien, Libération a pu en consulter une version. Il se présente sous forme de tableau Excel, avec la liste des 444 écoles marseillaises d’un côté, et de l’autre, différents intitulés amenés à évoluer au fil des semaines. «Le rectorat le complétait au fur et à mesure des remontées qui nous avions, de la part des associations de parents d’élèves, inspecteurs d’académie, syndicats de profs… Mais aussi, des travaux, petits et gros, programmés par la mairie.» La colonne bleu turquoise précisait si les travaux étaient «susceptibles d’être subventionnés par les crédits de la politique de la ville». Dans la version que nous avons consultée, on trouve aussi une colonne intitulée «suspicions d’amiante» : 38 écoles répertoriées. 38 aussi où des nuisibles (rats) ont été repérés. Problèmes de chauffage dans 65. Une vingtaine d’établissements sont aussi estampillés «bâtis délabrés» ou en mauvais état. Au total, 114 écoles sur les 444 d’alors avaient été identifiées en 2016 comme nécessitant des travaux d’ampleurs différentes.

Document L’audit des écoles de Marseille en 2016

A-t-il servi à quelque chose?

Oui, si on en croit Danièle Casanova, l’adjointe au maire déléguée à l’éducation. «On avait fait des visites dans les principales écoles signalées. Des travaux avaient été faits et ça avait donné satisfaction.» Racontée rue de Grenelle, la partie semble avoir été plus laborieuse… Dans les mois qui suivent cet audit, des réunions d’étape ont bien été organisées entre la préfecture, le rectorat et les services de la ville de Marseille… A la lecture de plusieurs comptes rendus de réunion que Libé a pu consulter, la même impression : préfecture et rectorat ont bien ramé pour obtenir des informations et des engagements de la municipalité. «Nos interlocuteurs habituels étaient tous présents, en revanche aucun d’entre eux ne semblait avoir été informé à l’avance de l’objet de cette réunion, à savoir préparer la rencontre (avec préfet-rectorat-mairie) en vue de faire un point sur l’avancement des programmations de travaux dans les écoles de Marseille.» L’Etat a beau aligner des aides publiques conséquentes, la municipalité traîne des pieds. «Les services de la ville semblent décidément mal à l’aise avec les procédures permettant de capter les subventions “proposées” par l’Etat.» A l’époque, la rallonge budgétaire de 6 millions d’euros de l’Etat a tout de même été utilisée… «De l’argent a été débloqué d’un coup, reconnaît Séverine Gil, un brin désabusé. On a vu le premier effet Kiss Cool avec Najat Vallaud-Belkacem. Sauf que depuis, plus rien. Tout est retombé. Trois ans après, on est revenu au même point. On attend toujours le deuxième effet Kiss Cool.»

Pourquoi l’Etat veut-il faire refaire un audit ?

Quelques jours après l’effondrement rue d’Aubagne, en novembre, voilà que le ministre Jean-Michel Blanquer promettait, à son tour, de se saisir du problème des écoles marseillaises… en commandant un audit ! Mais pourquoi en refaire un ?

«L’audit de 2016 sert de base de travail, l’idée c’est de le compléter pour une remise à jour», explique le cabinet du ministre. Début mars, un questionnaire a été adressé cette fois aux directeurs des 444 écoles marseillaises. On y reparle problème de chauffage, nuisible, électricité… En revanche, la case «suspicions d’amiante» a disparu. A ce jour, il y aurait déjà 360 remontées en provenance des directeurs d’établissement. Un diagnostic «tout sauf objectif», peste Yves Moraine : «On demande à des directeurs de se prononcer sur des choses pour lesquelles ils ne sont pas compétents.»

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L’élu est d’autant plus en colère qu’il considère que la manœuvre du ministère illégale. Entre-temps, la députée LREM de Marseille Cathy Racon-Bouzon a déposé un amendement à la loi sur l’école de la confiance : «Le gouvernement remet au Parlement, avant le 30 septembre 2019, un rapport sur l’état du bâti des écoles maternelles et élémentaires à Marseille», indique le texte, qui doit encore être voté par le Sénat fin avril. «Ils donnent des instructions sur la base d’une loi non votée, ce qui est quand même extravagant !» peste Yves Moraine. Autre extravagance pour l’élu, l’implication de l’Etat sur un dossier pourtant de la compétence municipale. Pour lui, la «constitutionnalité» de l’audit ministériel «mériterait d’être analysée». De rage, la mairie a annoncé ce mercredi qu’elle lançait son propre audit «neutre», mené par des bureaux d’études «spécialisés, indépendants et agréés par les ministères». Un coup de griffe municipal qui va coûter tout de même 6 millions d’euros. A moins que l’Etat en paye la moitié comme le suggérait, sans gêne, la majorité municipale mercredi.

Stéphanie Harounyan correspondante à Marseille , Marie Piquemal