Najat Vallaud-Belkacem : «La situation des écoles marseillaises relève d’une incurie au long cours et hors norme»

Article rédigé par Marie Piquemal pour Libération, le 29 mars 2019 : https://www.liberation.fr/amphtml/france/2019/03/28/najat-vallaud-belkacem-la-situation-des-ecoles-marseillaises-releve-d-une-incurie-au-long-cours-et-h_1717724

L’ex-ministre de l’Education raconte comment elle a tenté en 2016 de tordre la main à Jean-Claude Gaudin pour que des travaux soient faits dans les écoles de sa ville.

En 2016, au lendemain de la une de Libé sur l’état calamiteux des écoles marseillaises, Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Education, commandait un audit aux services de l’Etat pour avoir une vision précise de l’état du bâti des 444 écoles marseillaises, dont l’entretien est de la compétence de la ville. Ce diagnostic, que nous révélons aujourd’hui, n’avait pas été rendu public.

Aujourd’hui en retrait de la vie politique, Najat Vallaud-Belkacem sort de sa réserve pour raconter les difficultés rencontrées à l’époque, pour obliger la municipalité marseillaise à faire les travaux. Elle a répondu à nos questions par mail.

Comment a été réalisé cet audit des écoles marseillaises ?

Nous avons déclenché les choses le 4 février 2016 avec notre lettre de saisine adressée au préfet à qui il était demandé de réaliser un état des lieux des risques sanitaires, d’hygiène ou de sécurité auxquels élèves et enseignants pouvaient être confrontés dans un certain nombre d’écoles.

Des visites conjointes des services académiques et des services techniques de la ville ont alors été organisées, sur la base d’un premier recensement alimenté par nos services comme par les remontées des associations (fédérations parents d’élèves, collectifs etc.). Puis un tableau de suivi a été mis au point. Suivi de réunions régulières entre services pour décider des travaux et de leur calendrier. Ce tableau a fait l’objet d’un suivi resserré jusqu’en mai 2017. Ensuite je ne sais pas ce qu’il en a été fait.

Avez-vous été surprise ou inquiète des informations qui vous ont été remontées à l’époque ?

Pas surprise, non, compte tenu des alertes qui nous ont conduites à agir. Mais inquiète, forcément, même si nous n’avions pas de situation de péril imminent repérée.

Quels enseignements en avez-vous tirés ?

Qu’une partie du patrimoine scolaire marseillais était laissée à l’abandon depuis des années, avec une forme d’indifférence incroyable.

Au-delà de l’état du patrimoine, le plus surprenant était de constater que cette ville, au fil des ans, n’avait absolument pas adapté les superficies scolaires à la démographie. En d’autres termes, il n’avait quasiment pas été construit de classes supplémentaires pour accueillir les effectifs pourtant manifestement croissants du début des années 2000 – à une époque où, c’est vrai, cela arrangeait bien le gouvernement de l’époque qui supprimait des postes d’enseignants par dizaines de milliers… D’où, au-delà de l’état matériel des bâtiments, des classes surchargées.

Que s’est-il passé ensuite, après cet audit ?

Des travaux en urgence ont été faits par les services municipaux, un plan de travaux plus conséquent a été programmé avec des marchés publics, et la ville a lancé son plan de reconstruction des écoles de type «Pailleron», les plus dégradées, avec l’outil Partenariat public-privé qui a été ensuite contesté.

Le maire Jean-Claude Gaudin a-t-il été coopératif ?

Disons que dans un premier temps, il a fallu tordre la main de la mairie de Marseille, dont la toute première réaction a essentiellement consisté à minimiser les problèmes («Je ne dis pas qu’il n’y a pas ici ou là un robinet qui fuit mais de là à parler d’indignité !» etc.) et à dénoncer une «polémique politicienne et manichéenne organisée à l’encontre de la ville de Marseille».

Puis Jean-Claude Gaudin a semblé prendre conscience qu’il ne pourrait pas tenir longtemps cette position ubuesque. Il est devenu plus «coopératif», d’autant que sortant de la simple répartition des compétences, nous (l’Etat), décidions de mettre plusieurs millions d’euros au service de ces travaux. A partir de là, la difficulté a surtout été d’être contraints par des délais très serrés pour décider des travaux urgents qu’il nous paraissait indispensable de réaliser pendant les congés scolaires.

Aviez-vous les moyens juridiques de le contraindre ?

Seulement en cas de péril imminent constaté, la compétence des bâtiments scolaires relève en effet exclusivement des collectivités.

Est-ce que les moyens juridiques de l’Etat, dans ce type de situation, sont suffisants ?

En mode normal oui, les élus ne sont pas irresponsables. La situation marseillaise, comme pour le logement, relève d’une incurie au long cours et hors norme.

Votre successeur, Jean-Michel Blanquer, a annoncé qu’un nouvel audit serait fait. Le vôtre ne suffisait-il pas ?

Cela permettra de reprendre le travail puisqu’il semble que deux ans ont été perdus… C’est l’une des conséquences du grand chamboule-tout qui consiste à faire, par principe et pour la galerie, l’exact contraire de son prédécesseur : on traite avec mépris des sujets qui auraient nécessité une vraie continuité d’impulsion politique et, ce faisant, on les laisse s’enliser…

Donc, malgré ce temps perdu clairement, mieux vaut tard que jamais : le ministre ne peut rester spectateur, il a lui aussi la responsabilité de protéger les élèves et les enseignants. Et il a lui aussi le devoir de veiller à ce qu’il n’y ait pas en France, comme le disait à l’époque Charlotte Magri (l’enseignante qui avait écrit en janvier 2016 une lettre ouverte pour dénoncer l’état de son école marseillaise, ndlr) «une école de riches et une école de pauvres».Marie Piquemal