Article publié sur Le Moniteur, par Romain Cayrey avec Sophie d’Auzon le 19/04/2019 , pour le lire en ligne : https://www.lemoniteur.fr/article/les-ppp-declinent-mais-bougent-encore.2033425
Hier, ces contrats régissaient de grands projets, lancés par l’Etat et les collectivités locales. Aujourd’hui jugés coûteux, rigides et inaccessibles aux PME, ils ont un avenir incertain.
En 2004, les acteurs du BTP faisaient la connaissance des « contrats de partenariat », rebaptisés en 2016 « marchés de partenariat » et, couramment appelés, « partenariats public-privé » (PPP). Dans un contexte financier compliqué, ce nouvel outil permettait de satisfaire les besoins d’acteurs publics impécunieux et désireux de faire construire rapidement. Les travaux sont en effet préfinancés par le privé, et le paiement étalé sur la durée du contrat. Ainsi, entre 2010 et 2013, l’idylle bat son plein, avec plus de 130 contrats signés. Mais quelques années plus tard, elle semble s’essouffler (voir infographie) . Seuls cinq contrats ont été conclus en 2018 ; le compteur est au plus bas pour 2019. Et quand ce n’est pas la personne publique qui prend ses distances, c’est parfois le juge qui s’interpose. Ainsi, le 12 février dernier, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision de recourir aux PPP pour la construction d’écoles dans la cité phocéenne. De là à parler de rupture définitive, il est encore trop tôt. En revanche, une chose est sûre : les raisons du désamour sont nombreuses.
Une mauvaise réputation. Le PPP souffre tout d’abord d’un problème d’image. Et fait l’objet d’une bataille idéologique – voire corporatiste -, selon certains. Grégory Berkovicz, avocat associé au cabinet GB2A, pointe du doigt « les syndicats de fonctionnaires qui, défendant leur statut, combattent l’externalisation des projets publics ». Jérôme Grand d’Esnon, avocat associé chez Carbonnier Lamaze Rasle & Associés – en 2004, il était, à Bercy, aux manettes de la création de ces contrats -, dénonce la « forte opposition des architectes, dont beaucoup ne vivent que des concours et des primes et ne jurent donc que par la loi MOP [relative à la maîtrise d’ouvrage publique NDLR] ».
Denis Dessus, président du Conseil national de l’ordre des architectes, fait, lui, valoir que « le maître d’ouvrage, en PPP, est une société de projet en général menée par l’entreprise de BTP, une situation qui pervertit notre position de défenseur des intérêts de l’acheteur public. Cet affaiblissement de notre rôle se traduit par des difficultés à obtenir le niveau de prestations attendu d’un service public ». Autres farouches opposants, les représentants des PME de travaux. Pour Philippe Fontanier, secrétaire général du Syndicat national du second œuvre, les PPP ne peuvent répondre aux principes de la commande publique, comme celui de la liberté d’accès : « Les entreprises susceptibles de décrocher ces contrats se comptent sur les doigts d’une main. » Ne resteraient aux petits que les miettes de la sous-traitance…
Ces organisations n’ont pas hésité à attaquer en justice certains projets. Elles ne sont pas les seules. « Le nombre de recours intentés a dissuadé certains décideurs de choisir le PPP », commente Jérôme Pentecoste, avocat associé chez Gowling WLG (cabinet présent sur le montage de deux des trois derniers PPP signés). « Même si, en réalité, ces contentieux sont davantage le fait d’opposants au projet lui-même, ou à l’exécutif d’une collectivité, qu’au montage contractuel », précise-t-il. Quelques loupés retentissants ont aussi contribué à ternir l’image des PPP. L’exemple le plus cité est celui du Centre hospitalier sud-francilien (Essonne) : surcoût et retards importants, innombrables réserves à la réception, pour aboutir à une résiliation du contrat au bout de huit ans. Il ne s’agissait pas d’un contrat de partenariat, mais d’un bail emphytéotique hospitalier. Le fiasco de cette opération a rejailli sur tous les PPP.
Une liaison dangereuse ? La question financière ne peut être éludée. Denis Dessus dénonce « une formule qui transforme le service public en produit financier au profit de quelques banques et grandes entreprises, et dont l’intégralité des risques est sup-portée par les contribuables ». En 2017, la Cour des comptes constatait qu’en matière pénitentiaire le PPP « induit des coûts de financement plus élevés que la maîtrise d’ouvrage publique, mais aussi des coûts de construction substantiellement supérieurs à ceux des établissements réalisés en conception- réalisation ». Sous le quinquennat Hollande, Christiane Taubira, garde des Sceaux, avait d’ailleurs passé en marchés publics des projets initialement prévus en PPP.
Largement utilisées dans les PPP, les cessions Dailly – grâce auxquelles la personne publique peut garantir jusqu’à 80 % de l’endettement de l’opérateur privé – sont devenues un frein. « Très rassurantes pour le banquier, elles permettaient, à l’origine, de faire baisser les taux d’intérêt. Or, en période de taux bas, ce n’est plus un argument ! De plus, ce système a un revers : il fait entrer l’endettement dans les critères de Maastricht », éclaire Jérôme Grand d’Esnon. De son côté, Grégory Berkovicz explique la chute des PPP par un fort lobbying du Trésor : « Bercy veut freiner les dépenses publiques et, comme il a peu de marges de manœuvre sur celles de fonctionnement, il devient hostile à l’investissement public. » Marc Legrand, directeur des concessions chez Eiffage, renchérit : « Nous n’identifions plus de grands programmes aujourd’hui comme il y en a eu auparavant avec les prisons et les hôpitaux. »
Un manque de souplesse. Les acteurs s’accordent sur un point : le PPP est un contrat très rigide. « Toute modification va coûter très cher à la collectivité publique, pieds et poings liés au même opérateur pendant vingt ou trente ans », témoigne Denis Dessus. Ce que confirme Jérôme Grand d’Esnon. « Il est nécessaire, déroule-t-il, d’avoir un besoin bien défini, et de s’entourer d’une équipe suffisante pour bien fixer les règles du jeu, déterminer des pénalités crédibles et contrôlables facilement. » Par ailleurs, avec la réforme de la commande publique de 2016, les critères pour pouvoir recourir au PPP se sont concentrés sur le volet financier. A l’obligation de réaliser une évaluation préalable comparant les différents modes de réalisation d’un projet, s’est ajoutée une étude de soutenabilité financière, auparavant exigée pour les seuls PPP étatiques. Stéphane Braconnier, professeur de droit à l’université Paris-II, voit d’un bon œil cette évolution : « Les conditions juridiques étaient floues et avaient tendance à accroître le risque pour les personnes publiques. » Pour d’autres en revanche, comme Xavier Bezançon, délégué général d’EGF. BTP, « la nouvelle réglementation a rendu le recours à ce contrat presque impossible ». Stéphane Saussier, directeur de la chaire EPPP à Paris-I, parle, lui, de « parcours du combattant ». Un avis motivé doit en effet être rendu par le ministère chargé du budget. « Même si cet avis n’est pas liant, la DGFiP peut en pratique freiner, voire stopper, un projet de PPP d’une collectivité », estime Jérôme Pentecoste, qui ajoute que « l’évaluation préalable est très difficile à réaliser, et inévitablement critiquable ».
Des montages concurrents. La réglementation récente fait de plus la part belle aux contrats globaux, tels que le marché global de performance. Pour Xavier Bezançon, « c’est clair, les élus se sont tournés vers ces nouveaux outils, délaissant les marchés de partenariat ». Stéphane Saussier développe : « Les raisons pour lesquelles les acteurs avaient recours au PPP – son caractère global, les critères de performance… – ont infusé dans les contrats de la commande publique classique. Et il est plus aisé de recourir à ces montages. » Lesquels, ironie des choses, ne sont pas plus populaires auprès des architectes et des PME…
Les personnes publiques se sont aussi reportées sur le nouvel outil que constitue la Semop ou sur un montage éprouvé, la concession. « Mais on peut se demander si certains baux à construction ou concessions de travaux ne dissimulent pas des PPP, alerte Jérôme Pentecoste. Mieux vaut pour les parties qu’il n’y ait pas de contentieux. Les contrats pourraient être requalifiés, voire annulés. »
L’atout de taille des PPP par rapport aux contrats globaux est le paiement différé.
Un avenir, malgré tout. Pour autant, la flamme des PPP brûle toujours : de nombreux contrats sont en phase d’exécution, et quelques acteurs s’engagent encore dans cette voie ( lire p. 14 ). Ceux-là sont convaincus des atouts du montage, qui conserve notamment une différence de taille avec les contrats globaux : le paiement différé. Pour Stéphane Braconnier, « supprimer le marché de partenariat créerait un vide ». En outre, les PPP limiteraient le plus souvent les dérapages de délais sur la phase exécution – l’opérateur privé travaillant, à ce stade, à ses frais. Et ils présentent l’avantage de « sanctuariser les dépenses liées à l’entretien et à la maintenance », explique Marc Legrand. Qui relate par ailleurs que l’activité PPP d’Eiffage est aujourd’hui florissante… à l’étranger.
« On devrait assister à un regain du marché de partenariat », anticipe Grégory Bercovicz, observant « un effet de cycle dans l’investissement public, et une nécessité de revitaliser les villes moyennes ». Pour ces dernières, « le PPP semble être une bonne solution, car elles n’ont pas toujours une maîtrise d’ouvrage très forte et organisée ». Certains lui imaginent aussi un avenir dans les projets routiers, où les besoins sont criants, ou dans les infrastructures sociales, qui ne se prêtent pas au modèle concessif. « Il y a également aujourd’hui une réflexion en France et en Europe pour faire des PPP déconsolidants [ i. e. , dans lesquels les loyers financiers n’entreraient pas dans la dette publique NDLR] », explique enfin Jérôme Pentecoste. Ce qui nécessiterait une évolution de l’allocation des risques entre le public et le privé, et du mécanisme de financement en cession Dailly… Pas une mince affaire.
Ils font – encore – le choix du PPP
« Un projet complexe et un travail de longue haleine »
« Nous avons opté pour le PPP notamment en raison de la complexité du projet, qui suppose la délocalisation des deux marchés d’intérêt national existants à Nice. La procédure a duré six ans : la Mission d’appui aux PPP [aujourd’hui Fin Infra, NDLR] a rendu un avis favorable en 2013, et le contrat a été signé le mois dernier. C’est un travail de longue haleine, qui nécessite beaucoup de réflexions et de réunions afin d’harmoniser les demandes de chacun. Il y a aussi un travail de préparation dans le montage du contrat, il faut tout analyser et négocier pour avoir un certain nombre de garanties.
Le lauréat a aujourd’hui une mission de construction de l’équipement et d’entretien. En revanche, nous conservons la gestion, compte tenu de la spécificité des métiers concernés. »
Aménagement du MIN de Nice. Signé en mars 2019 pour 35 ans
Alain Philip, DGS technique, Métropole Nice Côte d’Azur
« Un contrat adapté au vu de notre capacité à investir »
« Nous n’avions pas d’autres solutions que le marché de partenariat pour réaliser nos travaux d’éclairage public.
Il nous fallait remplacer la totalité du parc pour des raisons de vétusté, mais aussi d’économies d’énergie. La maire a par ailleurs choisi de faire son mandat sans emprunt. Ainsi, au vu de notre capacité à investir, ce contrat était le plus adapté. Nous avons alors recruté un assistant à maîtrise d’ouvrage pour sécuriser notre procédure de passation et nous accompagner tout au long du projet, car c’est un contrat extrêmement complexe. Nous sommes à présent engagés pour quinze ans, et pour être certains que tout se passe bien, nous avons inclus des garanties et des pénalités élevées. Résultat : le parc a été entièrement renouvelé et livré le jour attendu. »
Eclairage public et vidéoprotection. Signé en janvier 2018 pour 15 ans
Maureen Ibanez, responsable marchés publics, ville de Bruay-sur-Escaut (Nord)
« Une soutenabilité budgétaire très attractive »
« Le ministère peut, dans le respect des critères, recourir au marché de partenariat pour des projets complexes, nécessitant des ressources de maîtrise d’ouvrage que ne possède pas la structure concernée, et pour lesquels un retour sur investissement est avéré. Ici, la soutenabilité budgétaire de l’opération – restructuration d’un îlot pour y regrouper les commissariats de quatre arrondissements de Paris – est très attractive. Le foncier apporté permettra la location d’immeubles dans le centre de la capitale, couvrant le loyer qui sera versé à l’opérateur privé durant une courte période. D’autre part, le ministère dispose de capacités d’expertise bâtimentaire de haut niveau, ce qui garantit une prise en charge optimale du projet. »
Réhabilitation de l’îlot Perrée (Paris) en commissariat. Signé en février 2019 pour 13 ans
Antoine Gobelet, directeur de l’évaluation de la performance et des affaires financières et immobilières du ministère de l’Intérieur
« La zone de pertinence du PPP reste assez large »
Pourquoi le partenariat public-privé est-il en perte de vitesse ?
Yann Le Tourneur : Il y a un effet lié au cycle d’investissement, que ce soit pour l’Etat ou pour les collectivités locales. De plus, les acteurs se reportent sur d’autres modes de réalisation, dont les conditions de recours ont été assouplies, comme les marchés globaux, ou récemment créés, comme les Semop.
Antoine Tardivo : A cela s’ajoutent les contraintes budgétaires des collectivités et l’incertitude des recettes fiscales. Cette absence de visibilité n’incite pas à opter pour le marché de partenariat, qui sanctuarise l’affectation de crédits budgétaires. Côté Etat, on constate également une contrainte sur la dette, et la difficulté d’obtenir le feu vert au titre de l’étude de soutenabilité budgétaire.
Enfin, depuis 2015, certains organismes tels que les hôpitaux, universités… , dits “Odac”, sont interdits de recours direct au PPP : ils doivent passer par leur ministère de tutelle et obtenir l’accord du Budget.
Quel est l’impact de l’avis de Fin Infra sur les projets de PPP ?
Y. L. T. : Nous devons rendre un avis sur les évaluations préalables réalisées par l’Etat et, depuis 2016, par les collectivités. Nous émettons assez peu d’avis défavorables, notamment parce que les porteurs de projets viennent généralement nous voir en amont, ce qui nous permet le cas échéant de les orienter vers des montages plus adaptés que le PPP pour leurs opérations. Les avis de Fin Infra sont non liants : cependant ils doivent être transmis à l’assemblée délibérante, ce qui leur donne un certain poids au moment de voter le recours au PPP !
Quel avenir voyez-vous pour ces contrats ?
Y. L. T. : Le marché de partenariat a des atouts, il reste néanmoins un outil parmi d’autres. Sa zone de pertinence est assez large : dès qu’il y a des enjeux en matière de performance ou de coût global, des problématiques d’organisation de la maîtrise d’ouvrage, des contraintes fortes de délai, etc. , son utilisation peut être étudiée.
Le PPP est particulièrement bien adapté pour les contrats d’éclairage public par exemple, ou encore pour les bâtiments scolaires, d’autant plus que l’alternative représentée par les concessions est à exclure dans ces secteurs.
A. T. : Ce contrat a de l’avenir dans la mesure où, depuis plusieurs années, la maîtrise d’ouvrage publique s’affaiblit, obligeant les acteurs à se reposer de plus en plus sur des AMO, avec une efficacité opérationnelle non garantie.
Le PPP permet de mobiliser les compétences du privé en matière de maîtrise d’ouvrage.