Article de Christophe Casanova pour La Marseillaise, le mardi 2 avril 2019 : http://www.lamarseillaise.fr/marseille/education/75719-charlotte-magri-un-mepris-profond-pour-une-categorie-de-la-population-marseillaise
Trois ans ont passé depuis la lettre ouverte adressée par Charlotte Magri, alors enseignante dans les quartiers Nord de Marseille, à Najat Vallaud-Belkacem, alors Ministre de l’éducation nationale.
Trois ans après sa lettre ouverte tirant la sonnette d’alarme sur l’état de délabrement de son école, Charlotte Magri a quitté l’Education nationale mais reste attentive à la situation des écoles marseillaises.
Elle a quitté l’éducation nationale à la rentrée 2016. Mais ce changement d’air après dix années dans l’enseignement était déjà acté lorsqu’elle adressa en novembre 2015 sa lettre ouverte à Najat Vallaud-Belkacem, alors Ministre de l’éducation nationale. Depuis, trois ans ont passé. Mais malgré l’intervention de l’Etat, un audit, quelques travaux d’urgence et un partenariat public privé rejeté par la justice, un sentiment demeure. Celui que rien n’a vraiment avancé.
Pourquoi avoir quitté l’éducation nationale ?
Charlotte Magri : Déjà, je n’avais pas assez de temps et d’énergie pour les pratiques artistiques que je développe aujourd’hui. Puis il y avait une forme d’usure. Pas au sens où le métier ne m’intéressait plus mais je n’avais plus la même fraîcheur vis à vis de mes élèves… J’arrivais au bout de ce que j’étais capable de faire dans ce contexte là.
Comment jugez-vous l’épisode de la lettre et ce qui a suivi ?
C. M. : ça a clos dix ans de ma vie. Après, mon initiative, et la manière dont j’ai essayé de la défendre, n’a été qu’un petit maillon dans une très longue chaîne de lutte. Ni plus ni moins que ça. D’ailleurs on voit que cette chaîne continue à se construire, beaucoup poussent encore dans cette direction.
Vous suivez ce qui se passe dans les écoles de Marseille ?
C. M. : Oui mais j’ai une vision moins centrée sur l’école. Je regarde ça plus largement, à travers les mobilisations citoyennes qui émergent face la mauvaise gestion municipale, avec l’espoir que ça change. J’espère que l’on va arriver à un point de rupture. Je me demande combien de temps encore, l’État français va tolérer qu’il y ait des pratiques mafieuses, le clientélisme en est l’illustration, indignes et criminelles dans la 2e ville de France ? Je me demande combien de temps, nous, les électeurs, allons laisser la porte du pouvoir ouverte à des personnes qui ne respectent ni la vie, ni les enfants, ni les valeurs fondamentales qui peuvent nous permettre de nous rassembler ?
Sur la question des écoles, vous n’avez pas le sentiment que trois ans après, on en est toujours au même point ?
C. M. : Bien sûr, on demande aujourd’hui les mêmes choses qu’en 2016. Après, le fait que le PPP ait été retoqué, que l’on parle diagnostic alors que l’on m’avait répondu par du mépris et du dédain, montre que ça avance. Les responsables politiques se sentent obligés de répondre. Et même si la réponse est insuffisante, c’est une manière de prendre acte.
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De quel genre de mépris parlez-vous ?
C. M. : M. Gaudin et des proches ont eu des propos méprisants et insultants, voire même injurieux vis à vis des enfants des quartiers Nord, avec un imaginaire de voyous, de kalachnikov, comme s’ils étaient tous délinquants. A mon égard, c’était disproportionné. On peut ne pas être d’accord, argumenter… mais ça a basculé. Il y avait une part de posture. Mais je me l’explique surtout par un mépris profond pour une catégorie de la population marseillaise et par un rapport à l’électorat qui n’est pas ancré dans des valeurs démocratiques. On n’a pas affaire des responsables politiques qui œuvrent pour le bien commun. On reste dans une approche hiérarchique, où ceux qui ont le pouvoir se permettent de se montrer méprisants vis à vis d’une bonne partie leurs administrés. C’est pourtant le fondement de leur légitimité dans leur accession au responsabilité politiques.
Au niveau de l’éducation nationale vous vous êtes sentie soutenue, accompagnée ? L’état des écoles concerne aussi les gens qui travaillent ?
C. M. : Au niveau de l’académie, les personnes ont fini par me recevoir et se sont montrées assez gênées, mal à l’aise par rapport à leur posture. Au niveau de la hiérarchie directe, je n’ai absolument pas eu de soutien. Aucun. Jusqu’au jour où c’est devenu une affaire nationale. Là, les discours ont changé.
Vous avez le sentiment d’avoir été un peu une lanceuse d’alerte ?
C. M. : Oui et non. Je n’ai rien écris ou dit qui n’était déjà su. Y compris des journalistes. Certains m’ont d’ailleurs remercié de leur avoir donné l’occasion de parler de ça… Parce que dans certaines rédaction, si ce n’est pas l’actu on ne peut pas caser le sujet même si il vous semble important.Après par rapport à la posture du corps enseignant, il y a eu cet effet là.Parce qu’il y avait quand même un tabou, en tous cas je l’ai ressenti comme ça, ou une mauvaise interprétation du devoir de réserve.
On a vu dernièrement encore des enseignants manifester avec une croix sur la bouche ?
C. M. : A partir du moment où l’on peut sortir dans la rue et le manifester, c’est déjà une étape. Après c’est très difficile. J’ai eu des menaces à l’époque.On ne renouvellera pas votre poste etc… Tout passe par l’administration lorsque l’on est enseignant. Il faut que l’on demande et que ce soit validé. Si vous êtes blacklisté, beaucoup de choses deviennent compliquées.
Du coup on a le sentiment que le corps enseignant ne s’exprime pas vraiment. Quand on voit des plafonds qui s’écroulent dans les écoles, on entend surtout les parents d’élèves ?
C. M. : Je ne vais pas généraliser mais c’est vrai qu’à part des personnes impliquées avec des profils militants… Mais je comprends totalement la difficulté de la prise de parole. D’autant plus, qu’entre guillemets, j’en ai fait les frais. C’est dur, ce que l’on prend en retour peut être violent mais il y a malgré tout des enseignants qui prennent la parole et qui assument. A l’époque, j’ai vu le changement autour de moi. C’était peut-être lié à mon équipe aussi. J’ai croisé des enseignants qui m’ont dit « Merci Charlotte ». C’était quand même un soulagement.Si il y avait ce ressenti, c’est qu’il y avait un besoin de parler. Après, il faut que parents et enseignants arrivent à se sentir comme des partenaires qui ont font face aux mêmes problèmes. Et ceci en dehors des moments où le sentiment d’urgence est suffisamment fort pour que chacun s’autorise à prendre des risques. C’est le genre de changement qui prend du temps.